Pr Isabelle Meunier, pour que les maladies rares de la rétine ne restent pas orphelines
Dernier reportage de notre saga "Femmes d'excellence", avec tristesse... car que de magnifiques rencontres ! Merci aux 22 chercheuses et/ou ophtalmologistes de nous avoir ouvert les portes de leur environnement, avec enthousiasme, générosité et expertise.
Découvrez ce jour la Pr Isabelle Meunier au CHU de Montpellier. Mettre des mots sur la maladie, soulager les peurs et accompagner les familles touchées par une affection de la rétine d’origine génétique, c’est ce qui la motive au quotidien. Elle se bat et se débat aussi pour faire vivre de nouveaux traitements. Isabelle Meunier aime se renouveler. C’est ainsi que sa carrière se découpe en plusieurs périodes. La praticienne est d’abord « très parisienne », exerçant de 1993 à 1997 aux côtés du Pr Gabriel Coscas, chef du service d’ophtalmologie à l’hôpital de Créteil, où elle se concentre sur la prise en charge de la DMLA, avant de rejoindre la Fondation Rothschild à Paris dans l’équipe du Dr De Laage de Meux pour y coordonner, de 1998 à 2006, le département d’imagerie.
En photo : à gauche, Dr Béatrice Bocquet, généticienne du centre et responsable de la « banque génétique » qui compte plus de 10 000 ADNs de patients et apparentés. À droite, Pr Isabelle Meunier, Ophtalmologiste coordinatrice du Centre national de référence Affections sensorielles génétiques, à l’hôpital Gui de Chauliac, CHU de Montpellier.
En 2007, elle prend la route du Sud jusqu’à Montpellier où elle intègre le service du Pr Christian Hamel, spécialiste des atteintes de la rétine d’origine génétique. Elle se passionne alors pour ce sujet. Elle apprécie notamment les échanges fournis avec les patients que nécessite la prise en charge de ces pathologies. Il faut savoir que les maladies génétiques de la rétine ont le plus souvent en commun une perte de cellules visuelles : celles qu’on appelle les bâtonnets, qui sont spécialisées dans la vision en faible luminosité et en périphérie du champ visuel, ou les cônes, plus efficaces en lumière du jour et responsables de l’acuité visuelle et de la vision des couleurs et des reliefs au centre du champ de vision, ou encore les cellules de l’épithélium pigmentaire, qui apportent les nutriments à la rétine et la détoxifient en retour.
" La révolution pour nous, c'est le séquençage à haut débit et le programme France génomique. Il y a plus de 250 gènes impliqués dans des maladies ophtalmologiques d'origine génétique "
Ces pathologies sont à la fois nombreuses dans leur diversité, mais rares par le faible nombre de patients que chacune d’entre elles affecte. Elles sont aussi variées dans les signes cliniques qu’elles engendrent et elles peuvent concerner des patients de tous âges. La maladie de Stargardt, par exemple, touche la vision centrale des jeunes enfants et peut conduire à une baisse rapide de l’acuité visuelle, de 10/10 à 1/10 en un an ou deux, tandis que la rétinite pigmentaire peut se manifester à l’âge de 55 ou 65 ans chez des patients ayant une acuité visuelle de 10/10. « Tout dépend des gènes impliqués, et il y en a plus de 250, ainsi que du mode de transmission des parents aux enfants », décrit la Pr Meunier.
Faire vivre et transmettre l'ophtalmogénétique
Pour donner corps à cette discipline naissante qu’est l’ophtalmogénétique, la spécialiste a initié avec le Pr Christian Hamel, son prédécesseur et maître, un Diplôme universitaire pour les ophtalmologistes qui souhaitent se surspécialiser dans ce domaine, ainsi qu’une société savante, la Société de génétique ophtalmologique francophone (SGOF). Depuis 2005, le CHU de Montpellier abrite aussi le centre national de référence pour ces affections. « Nous avons pris en charge plus de 5 600 familles depuis sa création »,précise-t-elle. Mais les options thérapeutiques sont malheureusement peu nombreuses. Plusieurs pistes prometteuses ont pourtant été poursuivies, notamment par Isabelle Meunier : thérapies géniques qui restaurent la fonction d’un gène malade, molécules « leurres » qui empêchent la fabrication d’une protéine anormale… mais les études sont aujourd’hui au point mort. « D’une part, certains traitements, comme les thérapies géniques, sont très coûteux à développer. Mais même quand les médicaments sont moins onéreux, comme les « leurres », les essais cliniques sont difficiles à mener, car ils nécessitent de démontrer qu’une maladie qui évolue souvent lentement, évolue encore plus lentement avec le traitement. Il faut donc réaliser un suivi sur 5 ou 6 ans au moins et sur un nombre de patients suffisant, alors que ces maladies sont rares. Les évaluations de l’acuité visuelle sont aussi difficiles car subjectives en fonction des patients, de leur état de fatigue le jour de l’examen… On n’a pas d’outil de quantification des cellules comme on peut avoir une IRM ou un scanner pour visualiser l’expansion d’une tumeur dans le cas d’un cancer », souligne Isabelle Meunier.
Se battre pour la reprise des essais cliniques
Ce qui la motive le plus, ce sont pourtant les victoires de ces patients ayant été traités bien sûr : « ce jeune garçon qui pouvait rejouer au basket même le soir en faible luminosité, cette femme qui s’étonnait de revoir ses propres cheveux dans les yeux… », évoque-t-elle. L’arrêt des essais cliniques qui avaient permis des progrès tangibles est donc un crève-coeur, mais elle ne baisse pas les bras : « nous réfléchissons en France au sein de la filière SENSGENE [filière de santé consacrée aux maladies rares sensorielles, ndlr] et à l’échelle européenne avec ERN-EYE [réseau dédié aux maladies rares de l’oeil, ndlr] pour mener de telles études, et les patients se fédèrent et sont prêts à se mettre en marche pour trouver de nouveaux financements », relève-t-elle. En attendant, elle continue de se réjouir des avancées fondamentales accomplies grâce aux technologiques comme le séquençage génétique à haut débit, et au plan national France génomique 2025 qui a permis le développement de plateformes de séquençage et d’analyse génomiques partout dans l’Hexagone. De même, en partenariat avec l’Institut des Neurosciences de Montpellier et le Dr Vasiliki Kalatzis de l’équipe Vision (Inserm 1298), un travail minutieux et précis sur les cellules souches et le développement des organoïdes rétiniens, sortes de rétines in vitro, permet de pousser plus loin les preuves de concept de potentiels traitements, en attendant la reprise d’essais cliniques…
Propos recueillis par Valérie Devillaine
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